Derrière cette transformation spectaculaire de la Chine en géant technologique se cache la volonté d’un seul homme : Xi Jinping, président chinois depuis 2013 et dirigeant de ce régime autoritaire à parti unique.
Cette réussite dans le domaine de la tech n’est pas le fruit du hasard ou simplement de l’initiative privée. Elle est le résultat d’une stratégie gouvernementale pensée, planifiée et financée massivement par l’État chinois.
« Made in China 2025 » : le plan qui a tout changé
2015 : l’année du tournant
Deux ans après son élection, Xi Jinping lance un programme ambitieux qui va redéfinir l’avenir technologique du pays : le plan « Made in China 2025 ».
Lors d’un discours officiel retransmis à la télévision nationale, le président chinois fixe un objectif clair et sans ambiguïté :
« 让我们更加紧密团结起来,坚定信心,克难攻坚,向着建设世界科技强国的伟大目标奋勇前进 »
(« Unissons-nous plus étroitement, ayons confiance, surmontons les difficultés et avançons courageusement vers le grand objectif de faire de la Chine une puissance scientifique et technologique mondiale. »)
L’objectif est limpide : faire de la Chine en une génération une superpuissance technologique mondiale.
Les 10 secteurs stratégiques ciblés
Le plan « Made in China 2025 » identifie précisément dix domaines prioritaires où la Chine doit devenir leader mondial :
Intelligence artificielle
Énergies renouvelables
Voiture électrique
Robotique
Semi-conducteurs
Biotechnologie
Aérospatiale et aéronautique
Équipements maritimes de haute technologie
Matériaux avancés
Équipements médicaux
Dix ans après le lancement de ce plan, les résultats sont spectaculaires :
80% des panneaux photovoltaïques utilisés dans le monde sont fabriqués en Chine
70% des batteries mondiales sont de marques chinoises
La Chine est devenue leader mondial du véhicule électrique
75% des demandes de brevets en robotique au niveau mondial proviennent de Chine (2024)
Un soutien financier sans précédent
Pour réaliser cette ambition, le gouvernement chinois n’a pas lésiné sur les moyens. Entre 2009 et 2023, l’État a injecté près de 230 milliards de dollars de subventions dans les entreprises technologiques chinoises.
Un montant colossal qui fait régulièrement accuser les entreprises chinoises de concurrence déloyale par leurs concurrents occidentaux, notamment dans le secteur automobile.
Face à ces accusations, Stella Lee, vice-présidente de BYD (premier constructeur mondial de voitures électriques), répond sans détour :
« Dire cela, c’est juste une bonne excuse pour qu’ils puissent se plaindre d’avoir perdu le match. »
L’accompagnement concret : l’exemple des incubateurs
Le soutien de l’État ne se limite pas aux grandes entreprises. Il s’étend également aux start-ups et jeunes entrepreneurs.
À Shenzhen, un modèle d’incubateur subventionné
Dans un quartier de Shenzhen, un immense incubateur accueille 600 start-ups spécialisées dans la tech. Peter Mock, directeur de cette structure, explique le modèle :
« On est capable d’accompagner les entreprises depuis leur création jusqu’à leur introduction en bourse si nécessaire. Si vous avez un rêve, une bonne idée, alors on va vous aider avec des fonds gouvernementaux. »
Les avantages concrets :
Loyers à seulement 10 dollars le mètre carré pendant les trois premières années
Trois fois moins cher que le prix du marché
Accompagnement technique et financier
Accès à tout l’écosystème technologique de Shenzhen
Ces conditions privilégiées permettent à de jeunes entrepreneurs comme Jojo Ju, 29 ans, de lancer leur start-up. Il a développé une chaise roulante autonome et figure déjà au prestigieux classement Forbes des 30 innovateurs de moins de 30 ans les plus prometteurs d’Asie – et ce, sans avoir encore commercialisé un seul produit.
Une philosophie d’intervention étatique claire
Selon les experts interrogés dans le reportage, la recette chinoise repose sur trois piliers :
- Un cap gouvernemental très clair « Ce qui est important, c’est que le cap fixé par le gouvernement soit très clair : prendre le leadership mondial dans certains secteurs, être parmi les meilleurs. »
- Des moyens financiers massifs Les 230 milliards de dollars de subventions permettent aux entreprises chinoises de prendre des risques, d’innover rapidement et de proposer des prix compétitifs.
- Un écosystème industriel complet Tout se trouve dans un rayon de 100 km autour de Shenzhen : fournisseurs, talents, ingénieurs, usines. Cette concentration accélère considérablement les délais de développement.
Les résultats : de la copie à l’innovation
Il y a 20 ans, la Chine était « l’usine du monde », connue pour fabriquer à bas coût les produits conçus ailleurs. Aujourd’hui, le rapport s’est inversé.
Comme le résume un expert local :
« Avant, l’innovation venait d’Amérique et la Chine fabriquait. Aujourd’hui, c’est nous qui inventons. Sur 100 nouveaux produits, 30% sont désormais conçus en Chine contre seulement 1% auparavant. »
Cette transformation s’illustre parfaitement avec des marques devenues mondiales :
DJI : leader mondial du drone civil
Huawei : géant des télécommunications et smartphones
Tencent : empire numérique avec WeChat (1 milliard d’utilisateurs)
BYD : premier constructeur mondial de véhicules électriques
Une stratégie à long terme
Ce qui frappe dans le modèle chinois, c’est sa capacité à penser sur le long terme. Le plan « Made in China 2025 » n’est pas un slogan politique mais une véritable feuille de route suivie méthodiquement depuis 10 ans.
Alors que les entreprises occidentales doivent souvent privilégier les résultats trimestriels pour satisfaire leurs actionnaires, les entreprises chinoises bénéficient d’une vision stratégique à 10, 20, voire 30 ans, portée par un État qui ne change pas de cap à chaque élection.
L’autre face de la médaille
Cette intervention massive de l’État soulève néanmoins des questions :
Concurrence faussée sur les marchés internationaux
Dépendance des entreprises vis-à-vis du pouvoir politique
Manque de transparence dans l’attribution des aides
Risques pour les libertés individuelles (surveillance, contrôle social)
Mais pour Xi Jinping et le Parti communiste chinois, ces considérations passent au second plan face à l’objectif ultime : faire de la Chine la première puissance technologique mondiale d’ici 2049, centenaire de la République populaire de Chine.















































