En mi-mars 2024, plus d’une quinzaine de pays africains ont été confrontés à une perturbation majeure de leur accès à Internet. Cette situation, allant du ralentissement de la connectivité à une coupure totale, a été causée par la rupture de plusieurs câbles sous-marins au large de la Côte d’Ivoire. Cet incident, bien que rare, a mis en lumière la vulnérabilité de l’infrastructure numérique du continent, reliant principalement par ces câbles sous-marins insuffisamment nombreux.
Les conséquences de cette rupture de câbles ont été importantes en raison de la dépendance de l’Afrique aux connexions sous-marines pour se relier au reste du monde. Aminata Ndiaye, vice-présidente régionale d’Orange pour le Moyen-Orient et l’Afrique, a révélé que seulement 16 % du trafic Internet africain reste sur le continent, comparé à 27 % en Europe. « Être connecté au monde reste indispensable pour l’Afrique », a-t-elle déclaré pour souligner l’ampleur de l’événement.
Le défi des infrastructures numériques
Lors de l’Africa CEO Forum en mai, organisé par Jeune Afrique, la fracture numérique entre l’Afrique et le reste du monde a été un thème récurrent. Paul Kagame, président du Rwanda, a illustré cette réalité en soulignant les défis persistants malgré une croissance rapide de l’utilisation de la bande passante internationale, qui a atteint un taux de croissance annuel moyen de 51 % entre 2017 et 2022, selon Gregor Theisen de McKinsey.
Malgré un développement notable des câbles sous-marins, de la fibre optique et des centres de données au cours de la dernière décennie, des lacunes et disparités significatives subsistent. Environ 570 millions d’Africains utilisent Internet sur une population de 1,4 milliard. En zones urbaines, 57 % de la population a accès à Internet contre seulement 23 % en zones rurales. De plus, il y a une disparité entre les genres : 42 % des hommes contre 32 % des femmes utilisent Internet.
Des conditions de base encore insuffisantes
Le manque d’infrastructures de base, comme l’accès à l’électricité, reste un obstacle majeur. En 2021, 567 millions de personnes en Afrique subsaharienne n’avaient pas accès à l’électricité. Filipe Nyusi, président du Mozambique, a mentionné que 60 % de son territoire est sans électricité, rendant difficile toute transformation numérique significative.
Seulement 50 % de la population africaine peut accéder à la 4G, principalement via les smartphones. Le coût élevé de l’Internet et des équipements, combiné à la pauvreté, limite également l’usage. En 2023, l’Union internationale des télécommunications (UIT) a noté que l’accès à Internet est en moyenne 30 à 35 % plus cher en Afrique que dans les pays développés. La construction de l’infrastructure de milieu et de dernier kilomètre nécessiterait 6 milliards de dollars d’investissements par an.
Une opportunité économique à saisir
L’International Finance Corporation (IFC) estime que l’arrivée de nouveaux câbles sous-marins multipliant par six la bande passante d’ici 2027 pourrait réduire le coût de l’Internet haut débit de 10 à 11 %. Cependant, pour maximiser les avantages de la transformation numérique, des investissements continus et une régulation stable sont nécessaires. Aminata Ndiaye et Tonny Bao de Huawei plaident pour une stabilité des taxes et des réglementations pour encourager les investissements à long terme.
Une harmonisation nécessaire
Mmusi Kgafela, ministre du Commerce et de l’Industrie du Botswana, a appelé à une plus grande harmonisation des règles entre les pays africains pour faciliter l’économie numérique et la circulation des talents, à l’instar de l’Union européenne. L’Union africaine travaille déjà sur des projets tels que l’Initiative de politique et de réglementation pour l’Afrique numérique (PRIDA) et la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).
Makhtar Diop, directeur général de l’IFC, a souligné que la numérisation peut favoriser la croissance de la productivité, de l’emploi, des exportations et des revenus, et contribuer à réduire la pauvreté. Selon McKinsey, la transformation numérique pourrait créer 3,2 millions d’emplois et ajouter 1 à 2 points au PIB africain d’ici 2028.
Susan Lund, vice-présidente de l’IFC chargée de l’économie et du développement du secteur privé, a conclu que cette transformation est un « voyage » qui nécessite du temps, tant en Afrique que dans le reste du monde.
La Rédaction